Vers un programme mondial d’action pour l’eau
On ne pourrait sous aucun prétexte, laisser passer la Journée mondiale de l’eau sans dresser un état des lieux de l’eau dans le monde. Sans vouloir être défaitiste, l’UNESCO et l’ONU-Eau annoncent le risque de la crise mondiale imminente de l’eau douce. En effet, entre deux et trois milliards de personnes connaissent des pénuries d’eau, lesquelles tendront à s’aggraver au cours des décennies à venir, et en particulier dans les villes.
En 2015, tous les membres des Nations Unies adoptent l’Agenda 2030, où ont été fixés 17 Objectifs de développement durable (ODD). Le sixième objectif (ODD6 ) étant directement relatif à l’eau, vise à garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement, ainsi qu’à assurer une gestion durable des ressources en eau. Mais force est de constater que l’ODD 6 a un large impact sur la réalisation du reste des ODD, tels que l’ODD2 (Faim « zéro »), l’ODD3 (Bonne santé et bien-être), l’ODD11 (Villes et communautés durables), l’ODD13 (Mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques), l’ODD14 (Vie aquatique), l’ODD16 (Paix, justice et institutions efficaces).
L’édition 2023 de la Conférence des Nations Unies sur l’eau est le premier événement de ce type depuis près de 50 ans. En effet, la résolution du 20 décembre 2018 sur « l’examen approfondi à mi-parcours de la mise en œuvre de la Décennie internationale d’action, « L’eau au service du développement durable », qui prévoit la Conférence du 22-24 mars 2023 devant aboutir à un programme d’action sur l’eau.
La demande en eau :
Quid des quantités d’eau consommées, disponibles, renouvelables et accessibles ?
Les 3 principaux secteurs d’emploi de l’eau sont les villes, l’industrie et l’agriculture.
Pour le premier, l’augmentation de la demande résulte principalement de l’extension des services d’approvisionnement en eau. Dans le deuxième, les usages de l’eau sont de trois sortes : fluide thermique, fluide de nettoyage ou agent intervenant dans le procédé de fabrication comme solvant ou matière première. La demande provient de processus aquavores, la production d’énergie. Mais la demande peut diminuer à mesure que les industries deviennent plus économes en eau, ou font le sage choix de recycler ou réutiliser leur eau. En ce qui concerne l’agriculture, l’irrigation constitue l’essentiel de la demande en eau, bien que les besoins dépendent de facteurs déterminants tels que l’intensité des précipitations, le type de plantations ou encore la nature des sols.
Dans le cadre de l’analyse de la situation hydrique mondiale, il est important de distinguer deux principales notions, en l’occurrence le stress hydrique et celle de la pénurie d’eau économique.
La première dépend d’une combinaison de facteurs notamment la disponibilité des eaux de surface et/ou souterraines (qui peut être fortement influencée par la variation des conditions climatiques), les demandes écologiques et les extractions liées aux activités humaines. Tandis que la seconde est la limitation des capacités institutionnelles et économiques plutôt qu’à des contraintes hydrologiques. Il y a vingt ans, les chiffres pointaient 1,6 milliard de personnes vivant dans des conditions de pénurie d’eau économique , mais il est actuellement difficile de déterminer si ce chiffre a augmenté ou diminué.
Au cours des quarante dernières années, l’utilisation des ressources en eau douce dans le monde a augmenté de près de 1 % par an, ceci étant principalement dû à la croissance démographique, eu développement socio-économique et à l’évolution des modes de consommation. Les eaux souterraines fournissent la moitié des quantités d’eau prélevées à usage domestique dans le monde et environ 25 % de toute l’eau prélevée à des fins d’irrigation .
Les pénuries d’eau se traduisent avant tout par un accroissement de l’emploi et de l’épuisement des nappes d’eaux souterraines.Les pénuries d’eau tendent à se généraliser en raison des effets locaux du stress hydrique ainsi que de l’aggravation et de la propagation de la pollution des ressources en eau douce5.
Quid de la qualité des eaux ?
Le constat est sans appel : la qualité des eaux est affligeante. Le rapport des Nations Unies dresse les principales causes : un traitement insuffisant des eaux usées, des eaux de ruissellement agricole pollués car ramassant sur son passage les contaminants du sol, à l’instar des pesticides ou engrais, les rejets industriels de produits chimiques dangereux et en particulier les polluants émergents (PEm) tels que les microplastiques et produits pharmaceutiques.
Voici quelques chiffres importants à glacer le sang, plus de 80% des eaux usées à travers le monde se déversent dans des nappes d’eau sans traitement. Au moins 2 milliards de personnes utilisent une source d’eau potable contaminée par des matières fécales, ce qui les expose au risque de contracter : choléra, dysenterie, typhoïde, poliomyélite.
Les services d’approvisionnement en eau, d’assainissement et d’hygiène (WASH : Water, Sanitation and Hygiene) sont cruciaux pour la santé et le bien-être de l’être humain. Or, les données collectées à l’échelle mondiale montrent que le rythme des efforts actuels doit être multiplié en moyenne par quatre si l’on veut parvenir à une fourniture universelle de services WASH gérés en toute sûreté d’ici à 20306.
Corrélation services d’assainissement (lien épuration) et changement climatique
Le secteur de l’eau et de l’assainissement offre de remarquables possibilité de réduction des émissions, allant de la récupération du biogaz dans les systèmes de traitement des eaux usées à la production d’énergie géothermique. De surcroît, le traitement et le rejet des eaux usées sont directement responsables de 11,8 et de 4,2 des émissions mondiales de CH4 et de N2O respectivement.
Principales mesures porteuses de changement tangible
Si rien n’est fait pour faire pencher la balance du changement effectif dans la gestion des ressources en eau, les conséquences économiques et sociales de la crise de l’eau seront lourdes et peut-être même irréversibles : certaines régions verront leur PIB s’effondre de 6% d’ici à 2050, d’importants flux migratoires verront le jour, voire des conflits.
Une large gamme de technologies, interviennent dans le secteur de l’eau, allant de la mesure des flux et des réserves hydriques au sein de l’environnement naturel au traitement de l’eau potable et des eaux usées, en passant par le dessalement et le recyclage des eaux grises. Les États en général, les décideurs politiques en particulier, doivent tirer profit des savoirs et expériences des différents opérateurs afin d’accomplir les progrès nécessaires à la réalisation des cibles de l’ODD6, cités ci-dessus.
Des problématiques internationales similaires à celle-ci, ayant atteint un tel degré de gravité, ne peuvent être traitées individuellement par les États mais doivent plutôt faire l’objet d’une action commune. La coopération internationale dans ce domaine n’est pas renforcée, préviennent l’UNESCO et ONU-Eau dans la dernière édition du Rapport mondial des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau. Il faut rappeler que l’UNESCO
est doté d’un mandat spécifique pour la promotion des sciences de l’eau, et grâce à son Programme hydrologique international (PHI), plusieurs États membres sont accompagnés dans leurs politiques de conservation, protection et de gestion.
En vue d’une meilleure gestion hydraulique, la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE), demeure jusqu’à présent la meilleure approche pour une mise en valeur et une gestion efficace, équitable et durable des ressources mondiales limitées en eau, face à des demandes grandissantes.
1 Campagne mondiale encourageant les gens à agir au quotidien pour changer leur manière d’utiliser, de consommer et de gérer l’eau.
2 Présentation de l’ODD 6
• Accès à l’eau potable : accès universel, équitable et à un coût abordable.
• Accès aux services d’assainissement et d’hygiène : mettre fin à la défécation en plein air entre autres.
• Qualité de l’eau : améliorer la qualité de l’eau en réduisant la pollution, en diminuant de moitié la proportion d’eaux usées non traitées et en augmentant à l’échelle mondiale le recyclage.
• Gestion durable des ressources en eau : augmenter l’utilisation rationnelle des ressources en eau.
• Gestion intégrée des ressources : développer la coopération transfrontalière.
• Protection et restauration des écosystèmes : protéger les écosystèmes liés à l’eau, notamment les montagnes, forêts, zones humides, rivières etc…
• Coopération et renforcement des capacités : développer la coopération internationale et l’appui au renforcement des capacités des pays en développement.
• Gestion collective de l’eau : renforcer la participation de la population locale à l’amélioration de la gestion de l’eau.
3 A Comprehensive Assessment of Water Management in Agriculture, 2007
4 ONU, 2022
5 FAO, 2022
6 OMS/UNICEF, 2020 ; 2021b ; OMS/UNICEF/Banque Mondiale, 2022
7 Le GIEC vient de publier un nouveau volet de son sixième rapport. Il s’attache cette fois à rendre compte des « impacts, de l’adaptation et de la vulnérabilité » liés au changement climatique.
Sources :
– Rapport mondial des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau, de l’année 2023
– Le nouveau rapport du GIEC publié le 20 mars 2023